Après avoir obtenu en 1988 un diplôme d'ingénieur
délivré par l’Institut National des Sciences Appliquées de Toulouse, dans le domaine du
génie civil, j’ai passé avec succès l’année suivante une agrégation dans le
même domaine. Mon rang de sortie m’a permis d'échapper à la formation initiatique des jeunes enseignants et d’obtenir un détachement dans
une entreprise. Certes j'avais déjà fait des stages industriels, mais cette fois c'était un contrat d'ingénieur en recherche et développement qui m'attendait pour une durée de 18 mois. L’entreprise rebaptisée aujourd’hui Ciments Calcia était
l’un des deux plus gros fleurons de l’industrie cimentière française et les
découvertes qui ont marqué mon affectation au sein du laboratoire Béton Développement
sont à l’origine d'orientations thématiques et pédagogiques opérées plus tard en tant
qu’enseignant dans des écoles d’ingénieurs à Orléans puis à Limoges. Je dois une grande reconnaissance à celles et ceux qui ont contribué à cette
initiation aux méthodes statistiques dans le monde industriel et qui ont surtout permis d'éveiller ma curiosité. La célèbre question "Comment çà marche ?" du chroniqueur scientifique Michel Chevalet allait devenir rapidement une interrogation à laquelle j'allais devoir répondre à propos des plans d'expérience. C’était le 15 juin 1989, année du bicentenaire de la Révolution française.
J’avais échappé durant mon parcours initial à l'enseignement des statistiques et des probabilités en raison de l'ablation d'un kyste sur une corde vocale qui contraignit l'enseignant au mutisme le plus complet durant le trimestre où cet enseignement devait avoir lieu : cela ne s'invente pas ! Comme bien souvent dans l'enseignement supérieur, il n'y a pas de remplaçant ... À chacun sa spécialité ... Je ne savais donc rien à propos de l'espérance mathématique et de la variance d'une loi de probabilité. L'écart-type et les intervalles de confiance devaient être timidement évoqués sous forme d'une note manuscrite de bas de page dans un cahier de travaux pratiques rattachés à l'enseignement du ciment et du béton. Un peu d'analyse combinatoire était associée aux différents cas de charge, sous forme de neige et de vent ou sous forme de charges fixes et variables, dans les cours de béton armé ou de construction métallique. Le futur ingénieur en génie civil devait par contre se délecter de calculs matriciels et d'équations différentielles qui allaient nous permettre de dimensionner et construire les édifices les plus audacieux, le tout accompagné par un important volume d'heures en analyse numérique mise en application à l'aide de langages de programmation compilés. La table à dessins existait encore dans les salles de projet et l'usage de papier millimétré aussi bien que logarithmique accompagnait les rédactions manuscrites de nos comptes rendus de travaux pratiques. À la fin de mes études, j’avais la certitude de posséder de solides connaissances pour affronter une période économique de plein emploi pour les ingénieurs : c’était il y a maintenant trente ans.
Le détachement en entreprise m’imposa très vite un virage radical en me faisant côtoyer le caractère aléatoire de variables que je considérais jusqu'alors comme parfaitement déterministes. L’écart-type me rattrapa dès le premier mois, un vendredi après-midi, quand en pleine réunion de laboratoire un de mes responsables me pria de compléter un rapport d’essai en rajoutant la valeur de cette statistique, a priori mal-aimée par certains et inconnue par d'autres, à côté de la valeur de la moyenne arithmétique, rassurante et maîtrisée, traduisant la résistance mécanique à la compression d’un béton. L’achat du premier livre d’une longue série relative aux statistiques me rassura en m’offrant la formule qui manquait à ma culture. Je ne suis pas certain d'en avoir bien compris le sens à l'époque mais elle fut immédiatement mise en œuvre à la machine à calculer en prenant soin de fournir dans le rapport un nombre de décimales tel qu’on ne puisse pas douter de ma compétence à fournir un résultat de mesure. Je compris ce jour-là que j’allais devoir apprivoiser cette statistique et bien d’autres, un peu comme le Petit Prince de Saint-Exupéry face au renard dans le désert. Il faut du temps, de la patience et un peu d’obstination pour cela. Mais la persévérance porte ses fruits petit à petit, au fil des pages de lecture, au gré de nouvelles études expérimentales ou en découvrant de nouvelles méthodes statistiques. Il ne faut surtout pas se montrer trop pressé. Découvrir l'usage des statistiques en milieu industriel leur donne tout de suite un aspect plus concret que lors d'un cours magistral à la craie et au tableau dans un grand amphithéâtre.
Le détachement en entreprise m’imposa très vite un virage radical en me faisant côtoyer le caractère aléatoire de variables que je considérais jusqu'alors comme parfaitement déterministes. L’écart-type me rattrapa dès le premier mois, un vendredi après-midi, quand en pleine réunion de laboratoire un de mes responsables me pria de compléter un rapport d’essai en rajoutant la valeur de cette statistique, a priori mal-aimée par certains et inconnue par d'autres, à côté de la valeur de la moyenne arithmétique, rassurante et maîtrisée, traduisant la résistance mécanique à la compression d’un béton. L’achat du premier livre d’une longue série relative aux statistiques me rassura en m’offrant la formule qui manquait à ma culture. Je ne suis pas certain d'en avoir bien compris le sens à l'époque mais elle fut immédiatement mise en œuvre à la machine à calculer en prenant soin de fournir dans le rapport un nombre de décimales tel qu’on ne puisse pas douter de ma compétence à fournir un résultat de mesure. Je compris ce jour-là que j’allais devoir apprivoiser cette statistique et bien d’autres, un peu comme le Petit Prince de Saint-Exupéry face au renard dans le désert. Il faut du temps, de la patience et un peu d’obstination pour cela. Mais la persévérance porte ses fruits petit à petit, au fil des pages de lecture, au gré de nouvelles études expérimentales ou en découvrant de nouvelles méthodes statistiques. Il ne faut surtout pas se montrer trop pressé. Découvrir l'usage des statistiques en milieu industriel leur donne tout de suite un aspect plus concret que lors d'un cours magistral à la craie et au tableau dans un grand amphithéâtre.
Le projet B312 ...
Les plans d’expérience sont
apparus au même moment dans ma vie professionnelle quand on me demanda de
participer à un groupe de travail à propos de la formulation d’un nouvel
adjuvant pour béton, dans le cadre d’un projet appelé B312. Curieux nom de code
me rappelant, toujours dans la même œuvre de Saint-Exupéry, l’astéroïde B612 possédant
des volcans et surtout une rose. Moins prosaïquement, ce nom de code signifiait
que l’on cherchait à formuler un béton dont la rhéologie resterait stable et
fluide durant 3 heures tout en permettant d’obtenir des résistances
contractuelles 12 heures après sa fabrication : un vrai défi ... Point de salut sans la chimie
organique, aide discrète et efficace quand on a atteint les limites de la
chimie minérale. Dans le groupe de travail, il y avait un chimiste qui connaissait
mieux que personne les vertus des polynaphtalènes sulfonates et celles des nonylphénols
suivant leur nombre d’oxyde d’éthylène. Quinquagénaire averti et passionné, il
reproduisait même des essais et créait de nouvelles formules en amateur dans le
garage de son pavillon de banlieue parisienne, un peu comme cet oncle fameux
bricoleur, héros d’une chanson de Boris Vian. Le chimiste allait réaliser les
savants mélanges et s’assurer de leur stabilité avant de me les transmettre
pour étudier leur efficacité sur le béton. Dans le groupe de travail, il y avait
un spécialiste des plans d’expérience. Il ne portait pas de blouse blanche comme
le chimiste mais plutôt un blazer. Il se retranchait dans son petit bureau derrière l’écran monochrome d’un ordinateur sur
lequel il mettait en œuvre un logiciel dont le nom représentait à mes yeux un
acronyme à la fois génial mais quelque peu obscur : LUMIERE. Logiciel à
Usage de Modélisation Industrielle Et de Recherche Expérimentale. Génial car il
fallait y penser ; obscur parce que le spécialiste des plans d’expérience,
fort sympathique et serviable au demeurant, ne communiquait qu’à l’aide de
statistiques de Fisher et de Student que lui renvoyait le logiciel à l’aide d’une
imprimante à aiguilles. Le premier nom me faisait penser à une marque de bière dans
un contenant en verre ambré et le second à un statut que je venais de quitter.
Dans le groupe de travail, il y avait enfin un technicien et moi-même sur qui
on fondait beaucoup d’espoir au travers de nos essais rhéologiques. Nous étions supervisés à la fois par un directeur scientifique pour ce qui relevait de la chimie des adjuvants et par un directeur technique qui n'était autre qu'un de mes deux supérieurs hiérarchiques pour ce qui relevait des propriétés du béton. C’est dans
ce contexte que je fus amené à mettre en œuvre mon premier plan d’expérience.
Il s'agissait d’un plan factoriel fractionnaire de type 2k-p présentant une résolution IV. Le but de ce blog sera de démystifier plus tard ce type de notation, mais les spécialistes savent déjà qu’il s’agit de dispositifs expérimentaux proposés par Box et Hunter en 1961 permettant d’estimer et de comparer les effets principaux des facteurs indépendamment des effets des interactions d’ordre un que l’on confond entre elles. Pour moi, j’associais le terme résolution à celui de problème ou d’équation et celui d’interaction au monde de la chimie dont je n’étais pas très passionné, avouons-le. J’allais devoir enrichir mon vocabulaire par de nouveaux termes et chercher rapidement à en comprendre le sens et les subtilités car, contre toute attente, la mise en œuvre de deux ou trois plans d’expérience successifs conduisirent à la formule recherchée. On peut en effet associer une approche séquentielle à la mise en oeuvre de ce type de dispositif expérimental. Il en découla même un brevet.
... la suite au prochain épisode ...
Il s'agissait d’un plan factoriel fractionnaire de type 2k-p présentant une résolution IV. Le but de ce blog sera de démystifier plus tard ce type de notation, mais les spécialistes savent déjà qu’il s’agit de dispositifs expérimentaux proposés par Box et Hunter en 1961 permettant d’estimer et de comparer les effets principaux des facteurs indépendamment des effets des interactions d’ordre un que l’on confond entre elles. Pour moi, j’associais le terme résolution à celui de problème ou d’équation et celui d’interaction au monde de la chimie dont je n’étais pas très passionné, avouons-le. J’allais devoir enrichir mon vocabulaire par de nouveaux termes et chercher rapidement à en comprendre le sens et les subtilités car, contre toute attente, la mise en œuvre de deux ou trois plans d’expérience successifs conduisirent à la formule recherchée. On peut en effet associer une approche séquentielle à la mise en oeuvre de ce type de dispositif expérimental. Il en découla même un brevet.
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