J’ai eu beaucoup de chance en découvrant les statistiques et les plans d’expérience non seulement dans un contexte industriel et concret, mais aussi dans un contexte économique favorable, loin de la craie qui permet d’écrire des matrices d’Hadamard au tableau sans pouvoir leur donner un sens pratique.
Faut-il renier les approches expérimentales systématiques quand on est étudiant ?
Faut-il renier les approches expérimentales systématiques quand on est étudiant ?
Conjointement à ma dernière année du cycle ingénieur j’avais suivi un Diplôme d’Etudes Approfondies que l’on désigne aujourd’hui par le terme de Master, rite initiatique sans lequel on ne pouvait pas prétendre faire une thèse. Le sujet que l’on m’avait confié portait sur la formulation de micro-bétons à hautes performances, l’incorporation de fumées de silice de différentes origines s’accompagnant de l’utilisation de super plastifiants à haut pouvoir réducteur d’eau. J’ai coulé puis écrasé plusieurs dizaines d’éprouvettes, réalisé d’innombrables essais de maniabilité sur mortier sans aucune autre démarche méthodologique que celle qui consiste à tenter une nouvelle formule après chaque pause-café. Les idées fusaient, on les testait. Les tableaux se remplissaient et à la fin, grâce aux vertus bienveillantes d’une représentation logarithmique sur un papier adapté, j’ai pu écrire que la diminution de la résistance à la compression était corrélée à l’augmentation de la porosité capillaire dont on avait supposé, mais c’était écrit dans les livres, qu’elle était une conséquence du rapport massique entre l’eau et le liant. Rien de très révolutionnaire, mais je n’en veux pas à mes encadrants. Ils étaient des expérimentateurs experts et fins observateurs du matériau béton ; ils n’étaient pas spécialistes de telle ou telle démarche méthodologique. Ce n’était absolument pas de leur faute, la vulgarisation des plans d’expérience était, au moins en France, réservée à quelques cercles d’initiés privilégiés. J’ai cependant beaucoup appris en termes de techniques de laboratoire et d’organisation sur une paillasse … et c’est sans doute là l’essentiel quand on est étudiant.
Il va falloir nous expliquer comment çà marche ...
Il va falloir nous expliquer comment çà marche ...
Fort de la nouvelle formule de l’adjuvant qui permettait de produire du béton B312 (voir ici), mes responsables et collègues me demandèrent de leur expliquer le fonctionnement des plans d’expérience que nous avions mis en œuvre. Puisque j’avais un diplôme m’ouvrant les portes de l’enseignement, il fallait que je sache expliquer pédagogiquement les choses qui nous entourent, en associant si besoin une bonne dose de mathématiques à l’explication. C’étaient eux aussi des ingénieurs capables d’affronter une matrice dès lors que celle-ci semblait logique et prenait un sens pragmatique et industriel. Bien évidemment, bercé par les statistiques de Fisher et de Student autant que par la parole rassurante du spécialiste, je n’avais pas compris grand-chose aux plans d'expérience, sinon qu'ils avaient permis de converger vers une solution au problème. Le directeur technique dont je dépendais et qui supervisait l'étude s’en était aperçu ; lui aussi avait suivi les formations internes prodiguées par le spécialiste et était resté coi. Près de vingt ans passés dans le monde du béton lui avait permis de côtoyer des noms célèbres comme Féret, Bolomey, Baron ou encore Dreux, mais Fisher et Student ne lui évoquaient que de très vagues souvenirs. Cependant, les résultats étaient là, les plans d’expérience avaient montré une certaine efficacité à plusieurs reprises au sein de l’entreprise et il convenait d’en clarifier le fonctionnement pour en généraliser éventuellement l’usage : je tombais à point nommé. Ce directeur technique, paternaliste et bienveillant, me fit alors une proposition constructive et devint mon bon chef. Je lui adresse encore une fois mes plus sincères remerciements.
Expérimenter, c'est apprendre ...
Dans la locution plan d’expérience, on retient d'abord le mot expérience dont la définition selon la norme NF ISO 3534-3 (2013) renvoie à l’étude intentionnelle d’un système par l’ajustement sélectif de conditions maîtrisables et l’affectation de ressources. Des ressources matérielles, il y en avait tant et plus dans l’industrie cimentière et ses différentes filières : ciments, granulats, adjuvants, malaxeurs, broyeurs, enceintes de conservation. Pour les ressources humaines et faire des éprouvettes, on pouvait faire appel à des stagiaires ; l’industrie cimentière cherchait à séduire de jeunes diplômés issus des filières de formation en génie des matériaux et génie civil. Pour les conditions maîtrisables, les idées ne manquaient pas : les uns voulaient étudier les effets de nouveaux agents de mouture ou comparer l’efficacité de différents types de corps broyants, les autres s’intéressaient aux bétons drainants ou à l’aspect de parement des bétons au décoffrage. Le challenge était lancé, j’avais en quelque sorte carte blanche, mais il fallait rendre des comptes et expliquer régulièrement à mes pères les démarches mises en œuvre puis les conclusions auxquelles on allait aboutir. Je me suis immédiatement dit qu’il fallait prendre conseil auprès du spécialiste interne des plans d’expérience, homme providentiel, mais mon bon chef m’informa que ce dernier venait de quitter l'entreprise sans préavis pour rejoindre d’autres horizons. J’étais donc seul, avec toutefois la clé de protection du logiciel LUMIERE. C’est ici et dans ce contexte industriel très particulier que prend tout son sens l’expression : « c’est au pied du mur que l’on voit le maçon ».
J’étais devenu le maçon avec comme première ressource, la volonté de découvrir et de bien faire et aussi celle de satisfaire les exigences de mon bon chef. Je disposais également des notes de cours d’un ami ayant fait des études de chimie dans une école d’ingénieurs à Montpellier et du livre en français de Jacques Goupy (voir ici) intitulé « La méthode des plans d’expérience » et édité chez Dunod en 1988. Une bible insipide de plus de 600 pages rédigée en langue anglaise par George Box et quelques associés portant pour titre « Statistics for Experimenters » était également présente sur mon bureau. Il y avait enfin le fameux logiciel LUMIERE avec un mode d’emploi que je qualifierai de rustique, même s’il était consigné dans un beau classeur à anneaux. Il y était plus question d’installation à partir de disquettes et d’accès aux différents menus en utilisant le système d’exploitation DOS (Disk Operating System) que de mise en œuvre concrète d’un plan d’expérience dans un contexte industriel. Quelque part, il fallait d’abord comprendre et maîtriser la fée informatique avant de rejoindre la paillasse et ses malaxeurs. Et puis, il y a eu un premier stagiaire, Olivier, avec qui je me suis intéressé à la compacité des empilements granulaires ou encore à la comparaison de différents agents de mouture et de corps broyants.
Le maçon enlevait régulièrement sa combinaison de laboratoire pour revêtir une blouse d’enseignant. A l’aide de transparents manuscrits posés sur un rétroprojecteur, je tentais d’expliquer le rôle des matrices d’Hadamard remplies de valeurs égales à -1 ou à +1 pour l’estimation des effets des facteurs suite à la mise en œuvre de plans factoriels complets de petite taille. Je n’inventais rien, je cherchais juste à reproduire les premiers chapitres du livre de Jacques Goupy (voir ici). Les matrices étaient rassurantes au même titre que la maîtrise progressive du logiciel, même quand elles conduisaient à affirmer des évidences comme le rôle de l’eau dans la rhéologie et celui du ciment dans l’acquisition des résistances mécaniques. Mais on se donnait bonne conscience car on appliquait des plans d’expérience comme d’autres pratiquent une activité physique pour diminuer un risque cardio-vasculaire. Mon bon chef et mes collègues étaient très attentifs, critiques et constructifs. Il est ressorti des choses intéressantes de ces quelques mois de découverte et d’apprentissage : une comparaison efficace entre un effet pouzzolanique et un effet de remplissage, la formulation d'un béton à forte porosité ouverte devant être à la fois drainant et résistant, des pistes d'innovation sur le broyage du clinker et le co-broyage de ciment. Au-delà des plans d’expérience, le logiciel LUMIERE m’a permis, à cette époque, de découvrir l’existence de méthodes statistiques très utiles comme par exemple l’analyse multidimensionnelle des données.
L'heure de la rentrée des classes allait bientôt sonner ...
Mais les bonnes choses ont toujours une fin. Après la rédaction de quelques polycopiés à usage interne à propos des bétons et des plans d'expérience, ma combinaison de laboratoire a laissé pour un temps la place à un treillis militaire. C'était en 1991, vers la fin de la première guerre du Golfe. A la fin de cette même année, j'ai retrouvé avec anticipation des élèves ingénieurs à peine plus jeunes que moi dans une école à Orléans et c'est sur les bords du Loiret que les plans d'expérience n'ont pas tardé à resurgir.
Expérimenter, c'est apprendre ...
Dans la locution plan d’expérience, on retient d'abord le mot expérience dont la définition selon la norme NF ISO 3534-3 (2013) renvoie à l’étude intentionnelle d’un système par l’ajustement sélectif de conditions maîtrisables et l’affectation de ressources. Des ressources matérielles, il y en avait tant et plus dans l’industrie cimentière et ses différentes filières : ciments, granulats, adjuvants, malaxeurs, broyeurs, enceintes de conservation. Pour les ressources humaines et faire des éprouvettes, on pouvait faire appel à des stagiaires ; l’industrie cimentière cherchait à séduire de jeunes diplômés issus des filières de formation en génie des matériaux et génie civil. Pour les conditions maîtrisables, les idées ne manquaient pas : les uns voulaient étudier les effets de nouveaux agents de mouture ou comparer l’efficacité de différents types de corps broyants, les autres s’intéressaient aux bétons drainants ou à l’aspect de parement des bétons au décoffrage. Le challenge était lancé, j’avais en quelque sorte carte blanche, mais il fallait rendre des comptes et expliquer régulièrement à mes pères les démarches mises en œuvre puis les conclusions auxquelles on allait aboutir. Je me suis immédiatement dit qu’il fallait prendre conseil auprès du spécialiste interne des plans d’expérience, homme providentiel, mais mon bon chef m’informa que ce dernier venait de quitter l'entreprise sans préavis pour rejoindre d’autres horizons. J’étais donc seul, avec toutefois la clé de protection du logiciel LUMIERE. C’est ici et dans ce contexte industriel très particulier que prend tout son sens l’expression : « c’est au pied du mur que l’on voit le maçon ».
J’étais devenu le maçon avec comme première ressource, la volonté de découvrir et de bien faire et aussi celle de satisfaire les exigences de mon bon chef. Je disposais également des notes de cours d’un ami ayant fait des études de chimie dans une école d’ingénieurs à Montpellier et du livre en français de Jacques Goupy (voir ici) intitulé « La méthode des plans d’expérience » et édité chez Dunod en 1988. Une bible insipide de plus de 600 pages rédigée en langue anglaise par George Box et quelques associés portant pour titre « Statistics for Experimenters » était également présente sur mon bureau. Il y avait enfin le fameux logiciel LUMIERE avec un mode d’emploi que je qualifierai de rustique, même s’il était consigné dans un beau classeur à anneaux. Il y était plus question d’installation à partir de disquettes et d’accès aux différents menus en utilisant le système d’exploitation DOS (Disk Operating System) que de mise en œuvre concrète d’un plan d’expérience dans un contexte industriel. Quelque part, il fallait d’abord comprendre et maîtriser la fée informatique avant de rejoindre la paillasse et ses malaxeurs. Et puis, il y a eu un premier stagiaire, Olivier, avec qui je me suis intéressé à la compacité des empilements granulaires ou encore à la comparaison de différents agents de mouture et de corps broyants.
Le maçon enlevait régulièrement sa combinaison de laboratoire pour revêtir une blouse d’enseignant. A l’aide de transparents manuscrits posés sur un rétroprojecteur, je tentais d’expliquer le rôle des matrices d’Hadamard remplies de valeurs égales à -1 ou à +1 pour l’estimation des effets des facteurs suite à la mise en œuvre de plans factoriels complets de petite taille. Je n’inventais rien, je cherchais juste à reproduire les premiers chapitres du livre de Jacques Goupy (voir ici). Les matrices étaient rassurantes au même titre que la maîtrise progressive du logiciel, même quand elles conduisaient à affirmer des évidences comme le rôle de l’eau dans la rhéologie et celui du ciment dans l’acquisition des résistances mécaniques. Mais on se donnait bonne conscience car on appliquait des plans d’expérience comme d’autres pratiquent une activité physique pour diminuer un risque cardio-vasculaire. Mon bon chef et mes collègues étaient très attentifs, critiques et constructifs. Il est ressorti des choses intéressantes de ces quelques mois de découverte et d’apprentissage : une comparaison efficace entre un effet pouzzolanique et un effet de remplissage, la formulation d'un béton à forte porosité ouverte devant être à la fois drainant et résistant, des pistes d'innovation sur le broyage du clinker et le co-broyage de ciment. Au-delà des plans d’expérience, le logiciel LUMIERE m’a permis, à cette époque, de découvrir l’existence de méthodes statistiques très utiles comme par exemple l’analyse multidimensionnelle des données.
L'heure de la rentrée des classes allait bientôt sonner ...
Mais les bonnes choses ont toujours une fin. Après la rédaction de quelques polycopiés à usage interne à propos des bétons et des plans d'expérience, ma combinaison de laboratoire a laissé pour un temps la place à un treillis militaire. C'était en 1991, vers la fin de la première guerre du Golfe. A la fin de cette même année, j'ai retrouvé avec anticipation des élèves ingénieurs à peine plus jeunes que moi dans une école à Orléans et c'est sur les bords du Loiret que les plans d'expérience n'ont pas tardé à resurgir.
... la suite au prochain épisode ...